Le géant mondial de l’acier ArcelorMittal et deux de ses dirigeants ont été mis en examen le 24 mars 2025 pour « mise en danger de la vie d’autrui », « faux et usage de faux » et « atteintes à l’environnement » concernant son site de Fos-sur-Mer. Cette décision judiciaire fait suite à une plainte collective déposée en novembre 2018 par environ 260 riverains, associations et syndicats, qui accusent l’entreprise d’avoir exposé la population à des rejets toxiques illégaux et d’avoir falsifié des données d’autosurveillance environnementale. Le groupe sidérurgique, placé sous contrôle judiciaire, conteste fermement ces accusations et met en avant ses investissements environnementaux, tandis que les plaignants évoquent un taux de cancer trois fois supérieur à la moyenne dans la région.

Contexte de l’affaire et procédure judiciaire

L’instruction menée par le pôle environnement du tribunal de Marseille a abouti à la mise en examen d’ArcelorMittal Méditerranée et de deux de ses dirigeants après six années d’enquête

. Cette procédure, confirmée par le procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone, a été révélée initialement par Mediapart. Les accusés ont été placés sous contrôle judiciaire avec obligation de verser une caution de 250 000 euros et de constituer une garantie bancaire de 1,7 million d’euros

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L’Association de Défense et de Protection du Littoral du Golfe de Fos (ADPLGF), principale plaignante dans cette affaire, se félicite de ces « mises en examen historiques »

. Son président, Daniel Moutet, a documenté depuis 2004 les émissions du site sidérurgique, prenant des milliers de photographies des fumées rejetées qu’il décrit comme « une symphonie de couleurs, avec des fumées noire, marron, jaune, orange, rouge… »

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Les accusations portées contre ArcelorMittal

Les accusations contre le sidérurgiste sont graves et multiples. Il est notamment reproché à l’entreprise d’avoir « falsifié certaines données d’autosurveillance en matière d’émission de polluants dans l’air »

. L’ADPLGF affirme que ces infractions sont caractérisées par « la récurrence des violations de la règlementation et par la gravité des conséquences sur la santé humaine et l’environnement »

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Selon Daniel Moutet, « Arcelor a caché des informations, falsifié des documents. Au-delà du CO2, leurs émissions contenaient du benzène, des particules fines, du plomb, du cadmium – tous classés cancérogènes et mutagènes – mais aussi des agents toxiques comme des oxydes d’azote ou du dioxyde de soufre »

. D’après les données rapportées par France Nature Environnement, l’entreprise aurait dépassé jusqu’à dix fois la valeur d’émission autorisée pour le benzène et presque 100% pour les poussières entre 2013 et 2018

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Impact sanitaire et environnemental allégué

Les conséquences sanitaires de cette pollution industrielle sont au cœur des préoccupations des plaignants. Le président de l’ADPLGF affirme qu’il y a « trois fois plus de cancers dans notre région qu’ailleurs »

. Cette affirmation fait écho à des études épidémiologiques qui ont mis en évidence des taux anormalement élevés de certaines pathologies dans la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer.

L’installation d’ArcelorMittal dans cette zone, qui date initialement de 1974 avant d’être reprise par le groupe en 2005, a un impact environnemental considérable

. Le site possède une capacité de production de plus de 4 millions de tonnes d’acier par an et ses émissions directes de CO2 ont atteint en moyenne 5,6 millions de tonnes par an sur les cinq dernières années

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Défense d’ArcelorMittal et stratégie environnementale

Face à ces accusations, ArcelorMittal a indiqué « coopérer pleinement avec les autorités » tout en contestant « fermement les accusations »

. L’entreprise met en avant ses efforts environnementaux, affirmant avoir « investi depuis 2014 plus de 735 millions d’euros afin notamment de moderniser ses installations ou d’innover pour réduire des niveaux d’émissions dont les seuils normatifs sont toujours plus exigeants »

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Le groupe sidérurgique revendique une réduction de 70% de ses émissions atmosphériques sur ce site par rapport à 2002

. ArcelorMittal Méditerranée affirme également vouloir « réduire ses émissions de CO2 de 35% d’ici 2030 pour atteindre zéro émission directe ou liée à l’énergie d’ici 2050 »

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Initiatives récentes de décarbonation

Dans le cadre de sa stratégie de décarbonation, ArcelorMittal a inauguré en septembre 2024 une quatre-poche électrique à Fos, permettant d’augmenter l’utilisation d’acier recyclé et de réduire les émissions de CO2 de près de 10%

. Cependant, le groupe a récemment annoncé la suspension de certains projets d’investissements dans la décarbonation en Europe, dont la construction d’un four à arc électrique à Dunkerque, dans l’attente de mesures de soutien de l’Union européenne

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Contexte économique et social

ArcelorMittal Méditerranée joue un rôle économique majeur dans la région de Fos-sur-Mer, où l’entreprise est le principal employeur avec environ 2 400 salariés et 1 100 sous-traitants

. Cette dimension sociale vient complexifier le dossier, d’autant que le secteur de l’acier traverse actuellement une crise.

En 2023, Arcelor a arrêté l’un de ses deux hauts-fourneaux à Fos, invoquant la baisse de la consommation d’acier

. Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large de difficultés pour l’industrie sidérurgique européenne, confrontée à une concurrence internationale accrue et à des coûts énergétiques élevés.

Antécédents et historique judiciaire

Cette mise en examen n’est pas la première confrontation d’ArcelorMittal avec la justice pour des questions environnementales. En 2021, le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence avait déjà condamné l’entreprise à verser 30 000 euros de dommages et intérêts à France Nature Environnement pour avoir « porté gravement atteinte à l’environnement et notamment à la qualité de l’air et à la santé des riverains »

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L’entreprise avait également été mise en demeure à plusieurs reprises par les autorités entre 2013 et 2018 pour des dépassements de seuils d’émissions polluantes

. Ces antécédents ont sans doute pesé dans la décision des magistrats instructeurs de procéder à cette mise en examen.

Conclusion

La mise en examen d’ArcelorMittal pour pollution industrielle à Fos-sur-Mer marque une étape importante dans la prise en compte judiciaire des impacts environnementaux et sanitaires des activités industrielles en France. Cette affaire illustre la tension croissante entre les impératifs économiques d’une industrie lourde pourvoyeuse d’emplois et les exigences de protection de l’environnement et de la santé publique.

Le contraste entre les affirmations d’ArcelorMittal concernant ses efforts de réduction des émissions et les accusations de falsification de données soulève des questions fondamentales sur la fiabilité de l’autosurveillance industrielle. Cette procédure judiciaire pourrait avoir des répercussions significatives sur les pratiques du secteur sidérurgique et, plus largement, sur la régulation environnementale des activités industrielles à fort impact.

Si l’instruction et le futur procès confirment les accusations, cette affaire pourrait constituer un précédent juridique important dans la reconnaissance de la responsabilité pénale des grands groupes industriels face aux conséquences sanitaires de leurs émissions polluantes.

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